Bah voilà, c’est malin. Je suis en pleine régression psychique. A cause de la pandémie de COVID, j’ai régressé de plus de 25 ans. Désormais, je suis à un cheveu (et genre, un cheveu de mec qui flirte avec la calvitie) de me rouler par terre dans la contrallée « Jeux et Jouets » du Leclerc d’Yvetot. Certes, à l’époque, ce n’était pas dans mes habitudes d’entrer en contact prolongé avec les surfaces lisses des supermarchés. Il faut dire qu’on ne sait pas où marchent les gens. Déjà, je n’aimais ni les gens, ni les supermarchés. Donc tenter le soin du visage à base de germes d’inconnus, merci mais ma mère me trainait suffisamment au marché local pour que je sois rodée à cette expérience de mort imminente. Mes TOCs ne pouvaient le supporter. N’empêche qu’elle envoyait du bois, cette Barbie édition spéciale de Noël. Une véritable raison de tirer la tronche pendant plusieurs jours.

Actuellement, c’est un peu pareil. Certes, je n’ai pas craqué pour la vente de Barbies de collection sur Veepee. Eh oh. Tu sais le temps que ça prend de faire les poussières? La raison? L’annulation des compétitions, et en particulier du French Throwdown.
Je sais, je sais, tu vas me dire que c’est plus raisonnable comme ça. Bien sûr, je suis d’accord avec toi. Mais c’est pas la peine de crâner à la jouer Michel Cymes du burpee. Je-ne-suis-plus-rationnelle. D’ailleurs, quand il s’agit du French, je ne suis plus très rationnelle. Ca commence avec la résa de l’hôtel, généralement effectuée dès janvier. Oui, près de six mois à l’avance. Dis donc, j’entends les cliquetis de ton cortex préfrontal tandis que tu me juges. C’est mal. C’est comme ça que tes parents t’ont élevé?
Je suis violemment prévoyante, voilà tout. La taille et le contenu de ma valise vont aussi dans ce sens. L’année dernière, les gens du Transilien ont certainement pensé que je partais pour 7 mois de retraite spirituelle dans les Yvelines.

Il faut dire que le French a une place particulière dans le cœur de pas mal d’athlètes français. Moi, la première. Cette année, cela aurait été ma rentrée en CP, mon 6e année de French. J’avais préparé mon cartable Tann’s, mes Crayolas et ma crème solaire. Et tous mes espoirs sont tombés à l’eau, comme l’autre con de Jack, même pas foutu de tenter le muscle-up sur porte. Je l’ai mal vécu. J’ai même arrêté de regarder Les Reines du Shopping (comment ça, ça n’a aucun rapport? )
Six ans consécutifs à crier sur des gens beaucoup plus doués que moi, à voir mon pipi prendre la couleur du FitAid, à courir pour la seule fois de l’année de mon plein gré – avec mon appareil photo, à tenter de couper des cuisses de poulet avec un couteau en plastique, à manger du saucisson pendant que d’autres font des thrusters, à se transformer en glace vanille fraise parce Daniel Chaffey à la ligne directe de Dieu (ou Evelyne Dhéliat – ce qui est probablement la même chose) et qu’il fait TOUJOURS beau au French, à monter des centaines de marches, à mettre à l’épreuve le peu de choses apprises en arts plastiques pour imaginer une pancarte vaguement jolie, ….

Je ne fais certes pas partie des Original Gansters qui ont vécu les toutes premières éditions de la compétition. Fraichement initiée à l’art du steak en août 2014, mon tout premier French était en 2015. C’était ma première vraie compétition – dans le public, entendons-nous. Le trajet, mi-covoiturage mi-expédition punitive, m’a tirée du lit précocement, afin d’arriver de bonne heure à Vincennes. La voiture avait été crashée sur le bas côté, laissée plus ou moins à l’abandon. Je me souviens encore des grilles de l’INSEP et de la perspective sur le site, de la chaleur et du brouhaha sous le dôme, de l’ambiance à la fois électrique et familiale. Enfin, je pouvais approcher certains des meilleurs athlètes français et européens. Et dans les gradins, coachs, athlètes, spectateurs se croisaient et discutaient entre deux photos, un peu comme la cousinade la plus fit de France. Les épreuves alternaient entre dôme et piste d’athlétisme. Massés derrière les barrières, nous donnions tous de la voix pour encourager nos copains, nos coachs qualifiés ou nos idoles. Ce French-là, c’était la véritable rencontre avec le CrossFit® que j’aime, celui du partage. Le soir, j’ai quitté la compétition avec un goût de trop peu, une envie de revenir le plus vite possible.

A partir de 2016, impossible de me demander d’être ailleurs qu’au French. Chaque année, mon week-end était booké et les strepsils dans la valise ne suffisaient jamais à remédier à l’extinction de voix du dimanche soir. Il faut dire que d’année en année, les connaissances sont devenus des copains, parfois des amis, voire des membres de la famille. Le spectacle lui, était toujours plus beau. Les WODs plus impressionnants. Et l’esprit de communauté toujours plus fort. Oui, les athlètes sont là pour gagner. Mais dans un respect mutuel. Ils se poussent, s’encouragent, s’engueulent et s’embrassent.

Le French a continué de grandir, la maison de famille a pris ses quartiers intramuros. Les premiers pas à Charlety étaient un peu perturbants. Le lieu plus grand, plus impressionnant mais avec autant de marches. A croire que c’est une constante ! Et si l’endroit était différent, la communauté était la même. Quoique plus vaste. L’arbre généalogique continuait de s’étendre. De plus en plus d’athlètes débarqués des Regionals répondaient présents, certains habitués du French avaient même fait les Games. Les épreuves s’enchainaient, se déroulaient parfois en simultané. La compétition continuait sa croissance. Pourtant, aux stands et dans les gradins, c’était toujours la fête et les retrouvailles.


L’année dernière, direction Saint Quentin en Yvelines. Là encore, l’enfant nous a fait une poussée de croissance. Du paddle, des maxs, des dumbbells plus grosses que la tête d’un enfant d’hydrocéphale : les chevaux étaient lâchés. Et quand la première personne que tu vois en arrivant est Kelsey Kiel, tu te dis que l’événement prend franchement des airs de Games sur Seine.

Pourtant, on buvait toujours des bières entre potes (bah quoi, c’est plein d’oligo-éléments) – mais en trinquant avec Rory McKernan, on faisait toujours la distribution de crème solaire, on passait toujours plus de temps à prendre des nouvelles des copains qu’à suivre tous les heats, on frissonnait au son de la Marseillaise résonnant dans le vélodrome, on tremblait toujours derrière les barrières en hurlant, sauf qu’on était beaucoup plus nombreux. Heureusement, le French, c’est un peu comme le bonheur, ça se partage facilement. Allez, vivement l’année prochaine. Et s’il vous plait, arrêtez de bouffer du pangolin.
