On continue nos rencontres avec les acteurs du CrossFit® francophone. Aujourd’hui, retour au Québec pour faire connaissance avec Mike Deboever, owner et headcoach de Reebok CrossFit® YUL, box en périphérie de Montréal. Il nous raconte son parcours ainsi que sa façon de percevoir le CrossFit® et son enseignement !
Est-ce que tu peux te présenter?
Moi, c’est Michaël Deboever, on m’appelle Mike Deboever au Canada. Ca fait 10 ans que j’habite là-bas, j’habitais en Belgique avant. Je suis parti, j’étais kinésiologue – la science du mouvement- j’ai découvert le CrossFit® au Canada et j’ai ouvert un gym directement là-bas : Reebok CrossFit® YUL. YUL, comme le code de l’aéroport de Montréal. Comme au Québec, on parle français et anglais, je voulais éviter d’avoir un nom juste francophone ou anglophone. Et « Montréal » était déjà pris par un autre gym, celui d’un bon ami d’ailleurs. Et comme c’était proche de l’aéroport, pourquoi ne pas l’appeler YUL.

Justement, comment as-tu découvert la discipline?
Ce n’est pas compliqué en fait. J’ai fait de la compétition en natation à haut niveau en Europe. Avec l’université, je n’ai pas pu continuer à ce niveau-là. Or, ça me manquait beaucoup. En arrivant à Montréal, je recherchais un sport dans lequel je pouvais me reconnaître et travailler dans le domaine, en tant que kinésiologue. Ce qui s’est passé, c’est que j’ai fait beaucoup de recherches sur internet autour des mouvements fonctionnels. Et j’ai entendu parler du CrossFit®.
En allant rendre visite à mes parents, qui habitent dans l’État de New York, j’ai pris un bus dans lequel il y avait un policier qui faisait beaucoup de fitness. On était assis l’un à côté de l’autre. Il était assez fit et il a mentionné le fait qu’il faisait du CrossFit®. En rentrant à Montréal, j’ai fait mes recherches. Puis j’ai passé mon Level 1. Il s’agissait des débuts du CrossFit® au Québec et dans l’est du Canada. C’est devenu extrêmement populaire, comme c’est le cas en France actuellement. Voilà comment je suis tombé dedans.

Quel a été ton cheminement entre tes débuts dans CrossFit® et celui où tu as décidé d’ouvrir une box?
C’est la passion qui a pris le dessus, parce que j’étais entraîneur privé dans un gros gym au centre de Montréal. La philosophie était très orientée vers l’argent. J’étais moins friand de ça. Moi, je faisais du CrossFit® avec mes clients, en coaching particulier. J’avais mon meilleur ami qui s’entraînait et travaillait avec moi. Je lui ai dit de passer son Level 1, avec ça tu vas exploser. On est allés à Toronto pour qu’il passe sa certification. Et moi j’étais dans la salle d’attente pendant ce temps. Or, à ce moment-là, il y avait un gros événement UFC (Ultimate Fighting Championship). Et la personne en charge de Reebok avait raté son train et attendait le staff de CrossFit® avec moi dans la pièce. On a parlé du CrossFit® et la personne de Reebok ne comprenait pas vraiment ce qu’était le CrossFit®. Mais elle souhaitait vraiment comprendre de quoi il était question. C’était l’année où ils avaient signé avec CrossFit®. Nous nous sommes donnés rendez-vous à Montréal, avec son boss. Ils cherchaient un owner. Au début, je n’y ai pas cru. Mais je n’y ai pas réfléchi à deux fois. C’était une superbe opportunité. Quelques mois plus tard, j’ai rencontré Daniel Chaffey, qui avait en même temps que moi la même opportunité, mais à Paris. Lui est venu avec un de ses coachs, nous nous sommes rencontrés comme ça. Reebok avait amené pas mal de monde aux Etats-Unis à Boston au Reebok One et c’est parti comme ça ! C’était en 2011.
Avant c’était de l’underground CrossFit®, dans d’anciennes salles de boxe. Les barres étaient rouillées…mais on s’amusait bien. Mais quand Reebok est arrivé, ça a permis de véhiculer le message de CrossFit® bien plus vite que ce que nous aurions pu le faire.

Il s’est passé combien de temps entre tes débuts en CrossFit® et le moment où tu as ouvert ta box?
Longtemps ! En fait, je n’ai jamais rien fait d’autre que du CrossFit®. Je m’entraînais déjà comme ça avant, même du temps de la natation. Je faisais du mouvement fonctionnel. Et c’est aussi ce que je faisais en tant que kinésiologue à l’université. Mais on n’appelait pas ça du CrossFit® à l’époque. Il n’y avait pas de timing ni autant d’intensité. Reste que si on parle de CrossFit® pur, je dirais deux ans.
Tu peux nous parler un peu de ta box?
Il s’agit de Reebok CrossFit® YUL, c’est dans l’Ouest de l’Île de Montréal. C’est le gym Reebok, ça ne fait pas de nous un gym plus spécial que les autres. Tous les gyms se valent très bien.
Je m’assure simplement que les coachs aient une qualité de coaching supérieure. C’est à dire qu’ils vont se soucier du bien-être des gens et des athlètes. La plupart de mes coachs sont des amis. Ce sont des « pages blanches » : ils ont commencé avec moi et je leur ai montré ma philosophie. Je n’ai imaginé ma méthode, j’applique la méthologie de CrossFit® HQ. Je veux tenter de comprendre ce que HQ veut faire, le fait qu’ils se concentrent moins sur les Games mais davantage sur la santé. C’est très important et c’est ce sur quoi on doit se focaliser.

Tu ressens une différence entre ce qui ce passe en France et au Canada?
Oui ! Depuis que ça a fort explosé en France, il y a pas mal de compétitions, de challenges…Et le niveau augmente très vite et c’est juste le début. C’est que je répète à Montréal : « nous, on a commencé avec un train qui ne s’arrête pas. Ici, vous avez lancé un TGV ». Vous allez nous rattraper! Et j’ai l’impression que la science de l’entraînement est encore plus recherchée ici, en Europe. Au Canada, on teste et on fait des erreurs. Ici, il y a moins de prise de risques, ou plus calculée. C’est impressionnant à voir. Et par exemple, en Amérique du Nord, il y a beaucoup d’athlètes usés par leur sport qui arrivent dans le CrossFit®. Mais en Europe, il y a plus d’athlètes qui ne viennent pas au CrossFit® suite à une blessure, par exemple. Ce sont des gens qui font du CrossFit® depuis le début. C’est une grosse différence.
Sachant que le CrossFit® est là depuis plus longtemps au Canada, qu’est-ce qu’on pourrait en apprendre, en France? Quelles leçons pourrait-on en tirer?
La microgestion des coachs. Le service qu’un coach peut donner aux athlètes, je pense qu’on pourrait davantage le développer en France. C’est très important d’avoir quelqu’un qui offre un service de haute qualité tout en étant très sociable. Ca peut être intéressant de se pencher sur la question et ne pas simplement penser que les gens entrent dans une box parce que le CrossFit® est à la mode. Le Made in USA est certes populaire, mais il faudrait se centrer sur « pourquoi les entraîneurs vont coacher », « pourquoi c’est important que les gens fassent du CrossFit® pour leur santé ».

Selon toi, qu’est-ce qui fait un bon coach?
Déjà, on va partir du principe que chaque coach sait coacher. On sait tous enseigner un push press, un squat, …bref, coacher le contenu. Un très bon coach, selon moi, c’est quelqu’un qui sait pourquoi il le fait et il va se soucier des gens avant de se soucier de lui-même. Si on est un coach parce qu’on est un athlète populaire, ou parce qu’on veut juste gagner en popularité, ça ne marchera pas. C’est pas notre place. Il faut avoir un énorme souci de rendre les gens meilleurs.
En tant qu’athlète, comment optimiser son entraînement?
Ce qui est important, c’est de se référer à ce qui est dit dans le Level 1, avec la pyramide. La base, c’est l’alimentation. C’est important de bien bouger, car maintenant, la définition de la santé dans le monde, c’est l’absence de maladie. Mais il faut comprendre que l’impact de l’alimentation est énorme. C’est trois fois par jour minimum, tout au long de notre vie. Donc c’est aussi important que de respirer. Ensuite, il faut suivre la pyramide et établir quelles sont les faiblesses dans nos capacités physiques. Car clairement, avec l’âge, avoir des faiblesses dans telle ou telle capacité physique a un impact sur la santé et la forme physique. Il faut éduquer les athlètes sur leur alimentation et leur approche de l’entraînement. Par exemple, on va tous aimer certains WODs, certains mouvements, …et je pense que c’est bien d’éduquer les gens sur la façon d’aborder les différents WODS, même si on ne le aime pas pour pouvoir apprécier les résultats qu’ils vont apporter.

Ce qui est important également, c’est d’éduquer les gens concernant la haute intensité. C’est important mais elle doit être relative et adaptée à la journée, au WOD de la personne. On ne peut pas faire Fran tous les jours ! Il y a des gens qui pensent qu’ils ne peuvent pas faire de CrossFit® car c’est trop intense. C’est pas une compétition tous les jours. La compétition, elle est contre soi-même ! Il faut avoir compris pourquoi on va pousser à haute intensité aujourd’hui et pas demain. Si tu as un 5 km à faire, l’objectif va dépendre de la personne, son âge, les sports pratiqués en dehors du CrossFit®. A voir si tu le fais à fond, sous forme d’interval training, en fonction des gains que tu veux avoir sur ton fitness. Il faut être à 100% présent lors de l’entraînement, être concentré, mais pousser à 110% tous les jours, je ne suis pas sûr. Pousser fort, ça peut aussi être travailler sur sa technique et ses skills. Ce que beaucoup de monde oublie. Ils vont passer beaucoup de temps sur les quatre premières capacités physiques comme le cardiovasculaire, la flexibilité, la force et l’endurance. C’est très bien. Mais ils oublient l’agilité, la coordination, l’équilibre et la précision. Je pense que ce sont des choses à travailler. Beaucoup de monde évite de travailler ses faiblesses ! Et ça, ça dépend de l’éducation des coachs.
On voit de plus en plus de gens en open gym. Ils n’aiment pas trop ce qui est au tableau donc avec les copains, ils se mettent sur le côté pour faire un programme vu sur internet. OK, mais comment on les guide ces gens-là? Les coachs sont là pour quelque chose ! Donc, il va falloir former les coachs et les owners pour ce cas-là aussi.

Une dernière question : que dirais-tu à quelqu’un qui hésite à commencer le CrossFit®?
Je vais tenter d’éduquer cette personne. En premier, le coach doit expliquer pourquoi on va faire tel ou tel mouvement, WOD, …C’est normal d’avoir peur! Moi aussi j’aurais peur de voir quelqu’un tout mauve dans un gym, prêt à vomir…Mes parents ne veulent pas faire ça ! Le but, c’est d’être en meilleure santé. Donc j’ai expliqué à mes parents, par A plus B, au tableau, entre nous, ce qui se passait, ce qu’on allait faire et pourquoi. Il faut se concentrer sur les cours d’initiation avant de toucher du doigt l’intensité. Je ne veux absolument pas que mes nouveaux membres soient dans l’intensité parce que ça ne sert à rien. Au Canada, on a beaucoup de hockey sur glace. Si je commençais, je ne voudrais pas jouer contre des gens expérimentés. Mon risque de blessure serait énorme et le lendemain, je me réveillerais en ayant mal, sans avoir vu la camaraderie ni compris l’objectif du sport. Dans ce cas, j’ai moins de chance de continuer. Aussi, les gens rentrent dans le gym savent qu’ils ne sont pas forcément en très bonne forme. Pas besoin de leur montrer une deuxième fois lors d’un WOD. C’est pour ça qu’il y a des gens qui s’imaginent qu’il faut être en forme avant de commencer le CrossFit®. Mais non. Moi, je veux que tu commences le CrossFit® donc pendant les six prochaines semaines, on va retirer l’intensité. On va t’apprendre à bien bouger. Si je vois que tu maîtrises, on va monter un peu. Je veux que ce travail soit bien fait. Tout le monde peut faire du CrossFit®, en a les capacités, mais c’est une mentalité à acquérir, à créer chez les gens. Et ça, c’est une des qualités d’un bon coach.
Un immense merci à Mike Deboever pour ces réponses passionnantes ! Il sera en lice, en équipe, pour le French Throwdown le week-end prochain. N’hésitez pas à aller les encourager !!
